En Corse, le culte des morts est
une tradition séculaire comme en témoignent les
nombreuses statues menhirs éparpillées sur l'île. Selon la nature de la
mort, il y a deux sortes de rites funèbres:
S'il s'agit d'une mort naturelle,
les campane (cloches) sonnent de façon
rapide. Celui qui va mourir doit pouvoir les entendre
avant de fermer les yeux car les sons de cloche vont permettre de
chasser les mauvais esprits et faciliter son
passage dans l'au-delà.
Dès que le décès a eu lieu, on
cache tous les miroirs avec un drap pour éviter que
l'esprit du défunt (u spiritu) ne se voit dans leurs
reflets et ne reste prisonnier dans la maison, on ouvre
un instant les fenêtres pour lui permettre de s'en aller
librement.
Puis, on ferme les volets, on
éteint le feu dans la cheminée, on chasse le chien, on
souffle toutes les lumières et durant trois jours la
maison reste dans la pénombre. Ce sont les voisins
qui apportent leur repas à la famille en deuil.
Pendant ces trois jours, le mort
est préparé, vêtu de ses plus beaux habits et exposé sur
la tola (table) -d'ou l'expression: "e
nant'a tola" qui signifie: "il vient de
mourir"- dans la salle principale où se tiendra
la veillée funèbre qui durera toute la nuit et au cours
de laquelle, au milieu des voceri et des
lamenti, sera servi aux environs de minuit un repas appelé
cunfortu.
Un tumulte effroyable accompagne
cette soirée lugubre. Les cris tragiques des femmes qui
se tirent les cheveux à poings serrés, se griffent le
visage, se cognent la tête et s'agitent comme des
possédées, contrastent étrangement avec l'accablement
immobile et silencieux de l'homme tandis qu'au dehors
les chiens rassemblés sur le seuil, hurlent à la mort.
Le troisième jour, le corps est
mis en bière et transporté à l'église où une messe est
chantée.
A la fin de l'office religieux, le
cercueil, porté tour à tour par tous les hommes du
village, est emmené soit dans le cimetière communal,
soit, le plus souvent, sur la propriété familiale où une
fosse a été creusée dans le sol. S'il s'agit d'une mort violente,
la chemise ensanglantée du défunt est exposée dans la
salle principale pour maintenir intact le désir de
vengeance qu' exhortent les cris des lamenti et
des voceri.
Selon la tradition, la mort
annonce sa venue par de nombreux signes funestes: cris
d'oiseaux, hurlements, craquements insolites dans la
maison, rêves prémonitoires, vision de procession ou
d'enterrement, présence des morts au milieu des vivants.
Cette dernière vision funeste d'un cortège de revenants
qui parcourt les villages en portant le cercueil d'une
personne dont elle annonce la mort en faisant la
répétition de ses funérailles, c'est celle de la
mumma ou de la squadra d'arozza.
On dit qu'une fois l'an, au solstice d'hiver, la squadra
d'Arozza se manifeste plus que d'habitude car elle
transporte les dépouilles de tous ceux qui vont mourir
dans l'année.
Dans une sorte de nébuleuse, ces
fantômes blancs dont on ne peut voir le visage car ils
ont la tête recouverte d'un capuchon, avancent lentement
vers l'église en tenant dans la main un cierge allumé.
Groupé autour du cercueil, ils
récitent une prière dont vous ne comprenez pas
les paroles car c'est un murmure lugubre et
effrayant que vous entendez. Si par malheur, il
vous arrive de croiser ce cortège, adossez-vous
à un mur et mettez dans votre bouche un couteau,
la lame pointée vers la squadra, pour ne pas
perdre l'usage de la parole.
Malgré l'effroi que ce
spectacle vous cause, ne cédez pas à la frayeur,
ne vous évanouissez pas car un fantôme pourrait
se détacher du rang et en profiter pour glisser un cierge dans votre
main ou dans votre poche et à votre réveil vous serez
devenu un stregu, un mazzeru (sorcier).
Il vous faudra beaucoup de courage
pour vous débarrasser de ce sortilège car vous devrez de
nouveau affronter la Squadra d'Arozza et à son passage
vous devrez remettre le cierge au seul fantôme qui n'en
a pas; mais prenez garde, si vous vous laissez
envelopper par la procession, vous serez perdu à jamais. |