Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

 COUTUMES ET CROYANCES CORSES

LA MORT (A morte)

 

En Corse, le culte des morts est une tradition séculaire comme en témoignent les nombreuses statues menhirs éparpillées sur l'île.

A partir de XVIème siècle, les autorités ecclésiastiques ont sévèrement condamné les scènes de douleur et les voceri ; elles ont aussi interdit les fêtes funèbres et la distribution traditionnelle de nourriture et de boissons, jugeant ces pratiques païennes. Mais ces interdits sont demeurés sans grand effet.

LesVoceri sont les voix de la douleur, les cantiques populaires du Corse en présence du trépas. Comme si la femme était douée d'une intuition plus perspicace du mystère de la souffrance, c'est à cette âme d'une sensibilité exquise, à cette voix touchante que nos insulaires, par un sentiment profond de philosophie, ont déféré la mission de célébrer la mort.

On hésite tout d'abord à croire possible l'alliance des chants avec les larmes; et en effet, la joie seule s'exalte comme malgré elle dans une sorte de mélodie primitive; mais la peine cherche le silence, qui est lui-même comme une image de la tristesse et du malheur. Cependant les chants funèbres naissent d'un besoin intime de la nature humaine; et, ainsi que la parole qui n'interprète pas uniquement les émotions du plaisir et qui raconte jusqu'à satiété les angoisses du coeur, ils sont bien l'exclamation spontanée de la douleur, mais d'une douleur qui demande des consolations au langage divin de la poésie et aux charmes de l'harmonie. Les scènes qui accompagnent ces chants, offre plus d'un contraste et des traits propres à chaque région.

Selon qu'il s'agisse d'une mort violente (malamorte) ou d'une mort naturelle, le rite funèbres est différent.

Dans le premier cas, il n'y a pas de scène autour du lit du mort. S'il s'agit d'une personne assassinée, elle ne reçoit pas les derniers sacrements. Le corps est laissé  pour la veillée dans ses vêtement souillés de sang, sa barbe n'est pas coupée et ses cheveux ne sont pas peignés. Durant la veillée, les femmes trempent leur mouchoir dans le sang de la victime, et leurs chants deviennent de vrais appels à la vengeance. Les hommes y prennent part en frappant le sol avec la crosse de leur fusil pendant le voceru. La chemise ensanglantée du défunt est exposée dans la salle principale pour maintenir intact ce désir de vengeance qu'exhortent  les cris des lamenti et des voceri. Le corps de la personne décédée de mort violente est mis en terre avec un minimum de cérémonie. Au XIXème siècle, aucun service funèbre public n'est célébré ; un homme qui a été tué est censé être mort en état de pêché mortel et ne peut donc pas être enterré religieusement. Son âme ne pourra partir dans l'au-delà que lorsque la vengeance sera accomplie.  

 

En général, lorsqu'une personne va mourir, on allume un cierge que l'on promène sur son corps en faisant le signe de croix (la crociata), puis, dans un profond silence, on attend le dénouement fatal.

Dès que le prêtre du village se met en route avec les saints huiles, ont fait sonner les cloches - parfois on entend la corne - ; les campane (cloches) sonnent de façon rapide ; celui qui va mourir doit pouvoir les entendre avant de fermer les yeux car les sons de cloche vont permettre de chasser les mauvais esprits et  faciliter son passage dans l'au-delà. Tous, femmes et hommes, parents, amis et voisins, accompagnent le prêtre chez le mourant. La nouvelle de la mort se répand alors rapidement et ceux qui ne se trouvent pas déjà sur place accourent, seuls ou en groupes. Les femmes, en majorité plus nombreuses, portent la faldettta (une espèce de jupe de couleur noir ou bleu foncé, qui est attachée à la ceinture et relevée de derrière sur la tête et sur les yeux, à la manière d'un capuchon) qui est le vêtement traditionnel des veuves.

Le dernier soupir rendu, un parent ou un ami allume une chandelle et la place successivement dans chaque main du défunt. On cache tous les miroirs avec un drap pour éviter que l'esprit du défunt (u spiritu) ne se voit dans leurs reflets et ne reste prisonnier dans la maison, on ouvre un instant les fenêtres et les portes pour lui permettre de s'en aller librement. Puis, on ferme les volets, on tire les rideaux, on éteint le feu dans la cheminée, on chasse le chien, on souffle toutes les lumières et durant trois jours la maison reste dans la pénombre uniquement éclairée par des torches et un nombre impair de lampes à huile ou de bougies disposées autour du corps. Après la toilette, on étend le mort revêtu de ses plus beaux habits (autrefois revêtu d'une longue chemise blanche) sur une tola (table) dans la pièce principale de la maison ; parfois, on place un chapelet entre ses mains, on pose un crucifix sur sa poitrine et on l'asperge d'eau bénite.

Si le défunt est une femme, on la revêt de sa robe de mariage ; s'il s'agit d'une jeune fille sont corps est recouvert de fleurs, de rubans et de guirlandes ; un prêtre sera revêtu de ses habits sacerdotaux et l'on placera un calice entre ses mains.

 

Dans la maison du mort, hommes et femmes se tiennent à part, les hommes d'un côté de la pièce, les femmes de l'autre ; parfois les hommes restent même à l'extérieur ou sur le pas de la porte.  En arrivant à la veillée funèbre, chacun va saluer le corps : les hommes lui serrent la main, les femmes l'étreignent et l'embrassent.

Groupées autour du corps, les femmes commencent autour du cadavre une terrifiante ronde (le caracolu). Rangées en cercle, et s'étant voilées de leur faldetta, les voceratrici (pleureuses) dansent en exprimant par leurs gestes et leurs cris la plus vive douleur. Elles se détachent les cheveux, se mettent à répandre des pleurs en se griffant parfois le visage puis l'une d'elles entonne les hymnes du trépas.

En ce moment, ces hymnes ont un caractère de tristesse douce, délicate, Quand la fatigue éteint la voix funèbre, la chanteuse fait un signe pour demander assistance, une autre voix succède à la sienne, et celle mélodie lamentable se prolonge de la sorte jusqu'à l'heure où le prêtre s'avance pour procéder à l'enlèvement du corps du défunt et le conduire à l'église avec la pompe chrétienne. A cet instant fatal les coeurs se brisent, la douleur se transforme en désespoir, les chants deviennent des cris aigus et poignants et la pantomime affecte des mouvements tragiques et convulsifs. Pendant l'office divin, qui dure souvent de neuf heures du matin à une heure de l'après-midi, les plus proches parents restent debout à la tête du cercueil, et à leurs côtés se tiennent les autres femmes (les pleureuses), tout absorbées dans la prière et le visage baigné de larmes.

Ailleurs, pareillement voilées, elles entourent le cadavre,  mais immobiles comme des fantômes, inclinant la tête sur la poitrine, gardant un silence sépulcral et ne laissant échapper que quelques soupirs qu'elles étouffent avec effort.
Dans le Niolo, au lieu de demeurer immobiles près du corps, elles s'agitent au contraire, étendent les bras, se courbent, se frappent la poitrine, trépignent, et avec tous les gestes représentatifs de la douleur, marchent ensemble auprès du défunt.

En d'autres lieux toutefois, le tableau a un aspect plus effrayant, car elles vont jusqu'à s'écorcher la figure ; elles s'arrachent les cheveux, déchirent leurs vêtements.

A un certain moment de la veillée, la foule s'en va, et seuls les proches parents et les amis restent pour veiller toute la nuit en compagnie du mort. Vers minuit, les voisins apportent un repas à la famille en deuil : diverses espèces de gâteaux, de la bastella (galette), de la schiaccia ou foccacia (gauffres), du fromage, du vin ; et l'assemblée mange et boit autour de la dépouille mortelle. Au matin, dès les premières lueurs de l'aube, les cloches sonnent à nouveau.

 

Le troisième jour, à l'enlèvement du corps, les femmes reprennent leurs cris et leurs gestes de douleur en griffant parfois le corps du défunt ou en tapant sur le cercueil - qui ne sera vraiment utilisé que dans la seconde moitié du XIXème siècle - comme pour essayer de réveiller le mort.  Le corps est porté à l'église en procession par des hommes qui se relaient à tour de rôle ; Hommes et femmes sont de nouveau séparés, les uns marchant en tête, les autres derrière. Parfois, les femmes ne participent ni à la procession ni au service religieux. A la fin de l'office religieux qui peut durer jusqu'à cinq heures, le cercueil, porté à nouveau tour à tour par tous les hommes du village, est emmené et mis en terre soit dans le cimetière communal, soit dans la fosse commune, soit le plus souvent sur la propriété familiale ou même parfois en plein maquis dans une fosse creusée dans le sol.

Il faut rappeler que jusqu'au début du XIXème siècle cependant, les cadavres, riches ou pauvres, étaient inhumés dans la fosse commune (l'arca). Dans mon village, en Castagniccia, l'arca était creusée sous les dalles de l'église et une lourde plaque de pierre portant l'inscription "Qua ti voglio" en obstruait l'entrée. En d'autre lieus, l'arca longeait une des façades de l'église dont elle n'était séparée que par une cloison de briques ; contre cette cloison était appuyée la bière commune où reposait le corps du dernier défunt du village. A la fin de la cérémonie mortuaire, on abattait la cloison et le cadavre était poussé dans l'arca. Les briques étaient ensuite remises en place et la bière vide, attendait un nouveau cadavre.

 

Dès la fin de la cérémonie, le cortège retourne à la maison du défunt pour un repas funèbre appelé conforto. La présence d'un membre du clergé est jugée essentielle. Presque partout, ce repas est préparé avec soin par la famille et les amis de la personne décédée. On a soin de disposer en temps convenable la paniera, c'est-à-dire d'envoyer au domicile mortuaire un panier garni des aliments qui doivent défrayer ce frugal et lugubre souper. Quand les relations de parenté sont étendues, on expédie tour à tour la paniera, afin que les réunions puissent se prolonger pendant plusieurs jours. Le mot de conforto dérive de confortare, soulager ; en effet, les âmes tendres et compatissantes trouvent là l'occasion propice de répandre des consolations dans le sein de ceux que la mort a frappés dans leurs plus précieuses affections.

Un tumulte effroyable accompagne cette soirée lugubre. Les cris tragiques des femmes qui se tirent les cheveux à poings serrés, se griffent le visage, se cognent la tête et s'agitent comme des possédées, contrastent étrangement avec l'accablement immobile et silencieux de l'homme tandis qu'au dehors les chiens rassemblés sur le seuil, hurlent à la mort.

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 04 août 2023