|   
						Antoine Dominique RUTILI est né à Lopigna le 6 juillet 1897 
						Le 8 octobre 1922, Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du 
						village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel 
						Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux 
						femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot 
						sarde du nom de Salici. 
						Tandis que l’accordéon 
						attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio, 
						Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des 
						deux filles pour l’inviter à danser. 
						Jacqueline allait sans 
						doute accepter l’invitation lorsque son protecteur, 
						Salici, intervint : 
						Je ne te permets pas de 
						danser avec ce paysan. 
						Sous l’insulte, Subrini 
						bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met 
						la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin 
						tombe, la cuisse traversée d’une balle. 
						Lorsque les gendarmes 
						arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est 
						sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux 
						heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le 
						vieux moulin. 
						Dans la salle de bal, les gendarmes interrogent
						la belle Jacqueline. 
						"Qui a tiré sur ton ami ? :" 
						"Dominique Rutili qui buvait 
						à une table avec André Spada". 
						"C’est faux !". 
						Rutili n’a pas 
						fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les 
						gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans 
						le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son 
						collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme !" 
						Dominique proteste : "Vous n’en avez pas le droit 
						; je ne suis pour rien dans la bagarre". 
						"Le juge de paix a deux 
						mots à vous dire !". 
						Il faut préciser qu’à ce 
						moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se 
						reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié 
						deux meules de paille appartenant à un certain 
						Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille. 
						D’ailleurs, Dominique 
						Rutili est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un 
						d’eux appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses 
						poignets sont ligotés. 
						La scène se passe dans le 
						haut village et la gendarmerie est située en bas. Il 
						faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en 
						pente. 
						C’est alors que, 
						brusquement, Rutili jette un appel dans la nuit : A moi, André ! Au secours ! 
						André, c’est Spada ; Spada 
						qui suit de loin la petite caravane et qui ne peut 
						rester sourd à l’imploration... 
						La fusillade commence. 
						Pascal Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre. 
						Deux gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement 
						blessé ; Caillaud, tué sur le coup. 
						Dominique Rutili, délivré, 
						n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se 
						réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui 
						tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses 
						compagnons d’aventures pendant plusieurs mois...  						 
						Ce jour d'octobre 1922, à 28 ans, Rutili prend le maquis 
						avec Spada. 
						Le 2 janvier 1924, à Lopigna, il assomme d'un coup de 
						canon de fusil M.Marchi parce que celui-ci l'avait 
						dénoncé aux gendarmes. Quelques instants plus tard, tapi 
						dans les buissons, il tire à vue sur les passants, 
						blessant son propre frère Pascal, le garde champêtre 
						André Lecca, et le beau-père de Pascal, Mathieu Torre.  						 
						Trois ans plus tard, le 4 janvier 1924, 
						André Spada, Antoine Dominique, accompagnés de leur 
						nouveau guide François Leca, décident de passer la nuit 
						dans les environs d'Ajaccio et se dirigent  vers le 
						Finosello où deux maisonnettes de bergers situées au 
						bord de la Gravona, vont leur servir de gîte. Une dame 
						Musio, propriétaire des lieux, originaire de Sardaigne 
						et son fils, âgé de 28 ans, offre l'hospitalité aux 
						trois hommes. 
						Dans la nuit, vers 4h30 du matin, Spada
						sur ses gardes, ne dort pas. 
						Une trentaine de gendarmes d'Ajaccio, accompagnés des 
						inspecteurs de la sûreté générale, sans aucun doute 
						avertis de la présence des bandits, prennent lentement 
						position autour des deux maisons. C'est alors que les chiens se mettent 
						à aboyer. Spada flairant le danger, saute dehors par la 
						fenêtre et se fondant dans la nuit noire et pluvieuse, 
						rampe jusqu'à la rivière, va se poster sur l'autre rive, 
						tire des coups de feu en l'air pour avertir Rutili du 
						danger puis commence à tirer sur les gendarmes. Au bruit 
						de la fusillade, Rutili affolé, se voyant cerné et certain
						que l’intervention des gendarmes a été provoquée par une trahison
						de ses hôtes - n'ont-ils pas commis l'imprudence d'envoyer la 
						mère Musio faire une commission chez un ami - , il abat 
						le jeune Antoine Musio d'un coup de fusil à bout 
						portant, blesse gravement de la même façon Mme Musio puis il se 
						sauve à toutes jambes à travers les terres labourées en 
						vidant ses chargeurs dans la direction des gendarmes qui se
						lancent à sa poursuite. 
						Des coups de feu crépitent. Le 
						fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de 
						lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il 
						y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini 
						aperçoit le fugitif, lève son arme... 
						Trop tard ! Rutili lui 
						lâche ses chevrotines en pleine poitrine. 
						Puis, prenant du champ, le 
						bandit traqué braque un revolver de chaque main et, 
						genou en terre, mitraille... 
						Suzzoni s’abat, l’épaule 
						fracassée. 
						Acquaviva tire et manque 
						Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux 
						hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son 
						couteau, qui porte l’inscription classique : « Morte 
						all’némico » (Mort à l’ennemi). 
						Le policier pare les coups, 
						tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à 
						son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé. 
						"Tuez-moi ! Achevez-moi !" râle-t-il. 
						Leca, le guide, se rend sans résister, André Spada s'enfuit dans 
						la montagne du Cruzzini.  						 
						Condamné à mort le 25 février 1925 et gracié le 11 juin 
						1925, Dominique RUTILI est envoyé au bagne de Cayenne. 
						A cette époque et jusqu’en 
						1928, on pouvait s’évader facilement. Il n’y avait qu’un 
						fleuve de deux kilomètres à traverser pour se retrouver 
						libre, en Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient 
						de bras pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi 
						accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale » 
						qui semblaient vouloir travailler.  
						Mais, à partir de 1928, les 
						évasions des Français en Guyane hollandaise étaient 
						devenues impossibles. 
						En 1931 Rutili tente 
						de "se faire la belle" en compagnie d’un camarade 
						espagnol pour rejoindre le Venezuela. Quelques semaines plus tard, 
						il est à Caracas où il est aidé par le Dr Bougrat qui 
						lui fournit quelques subsides. 
						Peu de temps après, sur une route du Venezuela,
						les deux fugitifs sont interpellés par des douaniers qui les arrêtèrent
						et les remettent entre les mains des autorités anglaises qui
						les reconduisirent au bagne. 
						Libéré en 1952, il fait enfin partie du 
						convoi de deux cents forçats qui s’embarquent sur le Noirmoutiers. 
						Trente-quatre jours de mer, avec escale à Casablanca, 
						avant de débarquer à Bordeaux. 
						Après une courte escale à Marseille, 
						il retrouve enfin sa terre natale, Lopigna, le hameau de 
						Tadja où son frère Pascal l’accueille à bras ouverts. 
						Peu à peu, l’ancien bagnard 
						reprend goût à la vie. Une opération lui ayant redonné 
						en partie la vue, il peut contempler à nouveau les 
						paysages de son enfance. Comme il redoutait d’être 
						replongé involontairement dans les vendettas que 
						pourraient exercer contre lui les parents ou les amis de 
						ses anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et 
						leur a demandé pardon... Rutili mourra paisiblement le 20 juillet 1973   
						***   
						Extrait de l'hebdomadaire 
						DETECTIVE n° 269 du 27 août 1951.   
						En plein maquis corse, 
						DÉTECTIVE parvient à dénicher Dominique RUTILI qui puni 
						de 26 ans de bagne, a pris une cure de jouvence dans une 
						oasis près de LOPIGNA, son village natal. Après sa très longue expiation en Guyane,
						Antoine-Dominique Rutili a retrouvé, dans sa Corse natale,
						ses habitudes de montagnard. LOPIGNA (de notre envoyé 
						spécial). De la petite route qui serpente au-dessus du 
						Liamone, le panorama se déroule, majestueux. En arrière, 
						le golfe étincelant de Sagone. A gauche, par delà la 
						vallée abrupte, le moutonnement des montagnes auxquelles 
						s’accrochent comme des médailles de petits villages 
						blancs et roses. A droite, le maquis envahissant, avec 
						les cistes roux, les lentisques verts et la lavande 
						bleutée. Devant, la haute montagne, ses escarpements 
						rougeâtres et ses pitons approchant les 2.500 mètres 
						d’altitude. Tous les jolis villages trop 
						rapidement traversés, Casaglione, Ambiegna, Arro, ont 
						été, il n’y a pas si longtemps, ainsi, du reste, que la 
						plupart des communes de la Cinarca, le théâtre de 
						combat» farouches, de fusillades rageuses, d’embuscades 
						sanglantes. C’était l’époque où les 
						bandits étaient rois, au Palais Vert. Pour les Romanetti, 
						les Spada, les Bartoli, ce vocable poétique désignait le 
						maquis dont, malgré les saisons, la parure verdoyante ne 
						se fane jamais. A présent, le temps des 
						bandits corses est fini, archi-fini, me disait, il y a 
						quelques semaines, le vieux Muzzarettu qui ne veut pas 
						désarmer, dans son maquis du Sartenais. Le hors-la-loi 
						octogénaire ajoutait : Avant de retourner au 
						continent, allez donc voir Rutili, qui a payé de 
						vingt-six ans de travaux forcés ses « espiègleries » de 
						jeunesse. Il revient du bagne. Vous le trouverez à 
						Lopigna, son village natal Lopigna est le village du 
						bout de la route. L’isolement naturel dans lequel est 
						tenue cette charmante localité dominée par un élégant 
						clocher explique vraisemblablement pourquoi plusieurs 
						bandits y trouvèrent leur « vocation », entre autres les 
						trop célèbres François Caviglioli, Jean-Baptiste Torre, 
						André Spada. guillotiné à Bastia, et Antoine-Dominique 
						Rutili. Ce dernier est l’un des rares 
						survivants de la phalange des bandits qui, vingt ans 
						durant, choisirent la Cinarca pour le théâtre de leurs 
						exploits De nombreuses maisons de 
						la.région gardent encore dans le granit de leurs murs 
						les traces des balles de cette époque tumultueuse et 
						passionnée. A Tiuccia, c’est l’hôtel 
						Miramar où Caviglioli avait pour lubie de faire arrêter 
						les voitures, au moyen d’un camion mis en travers de la 
						route, pour offrir à boire aux messieurs et danser avec 
						les dames. A Calcatoggio, patrie de 
						César Campinchi, à Sari, à Saint- André-d’Orcino, à 
						Cannelle, à Sarrola-Carcopino, pays d’origine de Francis 
						Carco, dans tous les villages qui s’élèvent du golfe de 
						Lava jusqu’aux pentes du Monte d’Oro, les bandits ont 
						laissé des souvenirs indélébiles. A Lopigna, l’une des 
						premières maisons à droite, en pénétrant dans le 
						village, l’épicerie débit de boissons Emmanuelli, peut 
						encore témoigner de la colère qui anima, certain jour, 
						le bandit Antoine-Dominique Rutili.   
						Auprès de la neige et des aigles. 
						Ce n’est pas ici que j’ai 
						demandé à rencontrer Rutili. J’ai l’impression qu'en 
						dépit du baume apporté par le temps, les blessures sont 
						encore trop fraîches pour être totalement pardonnées. 
						J’ai préféré m’adresser, plus loin, à l’Idéal Bar, dont 
						la patronne, à ma question, a répondu : 
						Rutili, l’ancien bandit, ne 
						demeure pas au village. II vit au maquis, chez son frère 
						Pascal, le cantonnier. Vous pouvez aller en voiture 
						jusqu’au pont, sous les chênes. Vous prendrez le petit 
						sentier à droite, qui escalade la colline... Trois 
						quarts d’heure de marche à travers le maquis, les 
						châtaigniers, les sapins, et vous serez à Tadja, un 
						petit hameau de trois feux, noyé dans les bois. 
						Le soleil « plombe ». Mais le 
						sous-bois touffu conserve une bienfaisante fraîcheur. A 
						travers les branches, on distingue au loin des cimes 
						enneigées. 
						Sur les trois maisonnettes de 
						Tadja, deux appartiennent aux Rutili et une à la famille 
						Torre. Il y a des jardins et de beaux vergers, des 
						champs de maïs et des olivettes, des canaux d’irrigation 
						et des sources fraîches. 
						C’est l’oasis au milieu de la 
						terre sauvage où pullulent renards, lièvres et 
						sangliers. Des aigles planent au-dessus des gorges du 
						Cruzzini. 
						Devant une petite ferme, un 
						homme, tenant un bébé dans les bras, semble nous 
						attendre. Notre arrivée a été repérée. Teint de Maure, 
						comme la tête du blason corse, cheveux frisés et 
						moustaches noires, c’est Pascal Rutili, 46 ans, frère de 
						l’ancien bandit et père de dix enfants. 
						Entrez vous reposer, 
						monsieur, dit-il dès qu’il sait le but de ma visite. Je 
						vais voir si mon frère veut vous recevoir. De beaux 
						enfants bien tenus nous regardent avec curiosité. Il y a 
						Ange, l’aîné ; Toussaint et François, le dernier né. 
						Dans la quiétude de cette 
						ferme isolée, où la vie semble d’une douceur 
						virgilienne, une femme, Angèle Torre, la compagne de 
						Pascal Rutili, s’affaire autour de ses enfants, après 
						avoir mis sur le feu de bois, l’eau pour le café.   
						Et, soudain : 
						Bonjour, messieurs ! Un homme 
						de solide stature, feutre noir, lunettes d’écaille et 
						moustache aux pointes acérées, se découpe dans le 
						rectangle de clarté de la porte. C’est Dominique Rutili, 
						l’ancien bandit, le bagnard libéré, après avoir purgé sa 
						peine. 
						Je ne suis qu’un mort vivant, 
						déclare-t-il après nous avoir serré, la main. Depuis 
						1926, toutes les années que j’ai vécues grâce à Dieu ne 
						sont que du rabiot, un beau rabiot... Le jury de Bastia 
						m’avait condamné à mort. Je m’attendais à avoir la tête 
						coupée, lorsque le Président Doumergue signa mon recours 
						en grâce. Aussi, maintenant, à 54 ans, je ne demande 
						qu’à vivre en paix. J’ai tellement souffert que c’est 
						comme si j’avais été guillotiné trois fois... Alors, 
						vous comprenez, on peut me couper six fois la tête, ça 
						ne me fait plus rien (sic). 
						Puis, après s’être assis 
						auprès de moi, il poursuit : 
						Certains m’ont reproché, à 
						mon retour de Cayenne, d’avoir conservé la mentalité 
						primitive des vieux Corses et l’habitude de sortir armé. 
						Je reconnais que j’aime les armes. Mais je suis revenu 
						presque aveugle et, si le docteur Panero ne m’avait 
						opéré de la cataracte à la clinique Ripert, à Ajaccio, 
						je n’y verrais plus. A présent, on m’a sauvé un œil et, 
						bientôt, je retournerai sur le billard pour me faire 
						opérer l’autre. Tout ce que je souhaite, c’est de 
						retrouver la vue comme avant, pour pouvoir aller à la 
						chasse. 
						Mais ce qui a le plus 
						douloureusement surpris l’ancien bandit à son retour au 
						pays, c’est la désertion des villages corses. L’ancien « 
						homme puni » s’apitoie davantage sur le destin de sa 
						petite patrie que sur le sien propre. 
						Quant aux circonstances qui 
						lui ont mis le doigt dans l’engrenage criminel, 
						Dominique Rutili ne les évoque pas sans hésitation. 
						C’est comme avec regret qu’il finit par conter, aidé de 
						son frère qui s’exprime plus aisément en français, le 
						récit de ses « malheurs ».   
						Pour un tour de valse 
						Le 8 octobre 1922, 
						Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du 
						village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel 
						Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux 
						femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot 
						sarde du nom de Salici. 
						Tandis que l’accordéon 
						attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio, 
						Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des 
						deux filles pour l’inviter à danser. 
						Jacqueline allait sans doute 
						accepter l’invitation lorsque son protecteur, Salici, 
						intervint : "Je ne te permets pas de 
						danser avec ce paysan". 
						Sous l’insulte, Subrini 
						bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met 
						la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin 
						tombe, la cuisse traversée d’une balle. 
						Lorsque les gendarmes 
						arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est 
						sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux 
						heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le 
						vieux moulin. 
						Dans la salle de bal, les 
						gendarmes interrogent la belle Jacqueline : Qui a tiré sur ton ami ? 
						Dominique Rutili qui buvait à 
						une table avec André Spada. 
						C’est faux. Rutili n’a pas 
						fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les 
						gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans 
						le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son 
						collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme ! 
						Dominique proteste : Vous n’en avez pas le droit ; 
						je ne suis pour rien dans la bagarre. 
						Le juge de paix a deux mots à 
						vous dire. 
						Il faut préciser qu’à ce 
						moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se 
						reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié 
						deux meules de paille appartenant à un certain 
						Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille. 
						D’ailleurs, Dominique Rutili 
						est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un d’eux 
						appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses poignets 
						sont ligotés. 
						La scène se passe dans le 
						haut village et la gendarmerie est située en bas. Il 
						faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en 
						pente. 
						C’est alors que, brusquement, 
						Rutili jette un appel dans la nuit : "A moi, André ! Au secours !" 
						André, c’est Spada ; Spada 
						qui suit de loin la petite, caravane et qui ne peut 
						rester sourd à l’imploration... 
						La fusillade commence. Pascal 
						Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre. Deux 
						gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement blessé ; 
						Caillaud, tué sur le coup. 
						Dominique Rutili, délivré, 
						n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se 
						réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui 
						tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses 
						compagnons d’aventures pendant plusieurs mois. 
						Trois ans plus tard, en 1925, 
						Spada et Rutili se rendent à Finosello, dans la banlieue 
						d’Ajaccio, et commettent un jour l’imprudence d’envoyer 
						leur hôtesse, Mme Musio, faire une commission chez un 
						ami. Dans la nuit, les gendarmes alertés viennent cerner 
						les deux maisons occupées chacune par l'un des bandits. 
						Au petit jour, André Spada 
						traverse la ligne des assiégeants et attend son camarade 
						à quelque distance. Pendant ce temps- là, certain que 
						l’intervention des gendarmes a été provoquée par une 
						trahison, Rutili tue Mme Musio et son fils. Puis il se 
						sauve à toutes jambes à travers les terres labourées. 
						Policiers et gendarmes se 
						lancent à sa poursuite. Des coups de feu crépitent. Le 
						fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de 
						lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il 
						y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini 
						aperçoit le fugitif, lève son arme... 
						Trop tard ! Rutili lui lâche 
						ses chevrotines en pleine poitrine. 
						Puis, prenant du champ, le 
						bandit traqué braque un revolver de chaque main et, 
						genou en terre, mitraille... 
						Suzzoni s’abat, l’épaule 
						fracassée. 
						Acquaviva tire et manque 
						Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux 
						hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son 
						couteau, qui porte l’inseripticn classique : « Morte 
						all’némico » (Mort à l’ennemi). 
						Le policier pare les coups, 
						tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à 
						son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé. 
						"Tuez-moi ! Achevez-moi !" 
						râle-t-il. 
						On connaît l’épilogue : les 
						Assises, la condamnation à mort, la fuite de Spada dans 
						les montagnes du Cruzzini, la grâce du Président de la 
						République, l’expiation...   
						
						La cavale interrompue 
						Sur sa vie en Guyane, 
						Dominique me raconte simplement : 
						Je me trouvais au bagne en 
						1926. A cette époque et jusqu’en 1928, on pouvait 
						s’évader facilement. Il n’y avait qu’un fleuve de deux 
						kilomètres à traverser pour se retrouver libre, en 
						Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient de bras 
						pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi 
						accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale » 
						qui semblaient vouloir travailler. Mais, en 1928, une 
						bande de voyous, des Français, je dois le reconnaître, 
						gâchèrent tout, tuant, pillant, volant. 
						A partir de ce moment, les 
						évasions des Français en Guyane hollandaise devinrent 
						impossibles. C’est pourquoi, en 1931, lorsque je tentai 
						de « faire la belle » en compagnie d’un camarade 
						espagnol, nous décidâmes d’aller jusqu'au Venezuela. 
						Quelques semaines plus tard, nous venions sonner à la 
						porte du docteur Bougrat, à Caracas. Il était absent. Ce 
						fut sa femme qui nous reçut, une Italienne fort aimable. 
						Elle nous donna à manger et nous fournit quelques 
						subsides. 
						Malheureusement, peu de temps 
						après, sur une route du Vénézuela, des douaniers nous 
						arrêtèrent et nous remirent entre les mains des 
						autorités anglaises qui, courtoisement, mais 
						inflexiblement, nous reconduisirent au bagne. 
						Ma vie, par la suite ? Celle 
						de tous les forçats. Les fièvres, le climat débilitant, 
						l'atroce promiscuité, les visites des journalistes et de 
						l’Armée du Salut... 
						L’ancien bandit s'interrompt. 
						S’adressant à son frère Pascal il demande : Aïo ! Pascal, va chercher la 
						dernière bouteille de vin de treille ! 
						Puis, devant les verres 
						remplis d’un vin au frais bouquet, Rutili reprend ses 
						confidences.     
						
						Le pardon et la paix 
						Après vingt-six ans de bagne, 
						il fait enfin partie du convoi de deux cents forçats qui 
						s’embarquent sur le. Noirmoutiers. Trente-quatre jours 
						de mer, avec escale à Casablanca, avant de débarquer à 
						Bordeaux. 
						C’est l’hiver. Il fait froid. 
						Rutili grelotte dans son mauvais complet, en débarquant 
						sur les quais de la Gironde. Son immense chapeau de 
						paille mexicain attire sur lui l'attention des 
						journalistes et des badauds. Mais le forçat libéré ne 
						desserre pas les dents. II n’attend qu’une chose : 
						pouvoir vivre libre, comme tout le monde. 
						Courte escale à Marseille. 
						Et, enfin, la terre natale, où son frère l’accueille à 
						bras ouverts. 
						Peu à peu, l’ancien bagnard a 
						repris goût à la vie. Une opération lui ayant redonné en 
						partie la vue, il peut contempler à nouveau les paysages 
						de son enfance. Comme il redoutait d’être replongé 
						involontairement dans les vendettas que pourraient 
						exercer contre lui les parents ou les amis de ses 
						anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et leur 
						a demandé pardon. 
						Maintenant, Rutili semble 
						heureux. Il s’est remis à tailler les oliviers du verger 
						de Tadja et, pour lui, l’eau qu’il puise à la source de 
						Spinate est la meilleure du monde. II s’occupe du 
						bétail, des chèvres, brebis et vaches dont le lait sert 
						à la confection de délicieux fromages. Il élève aussi 
						des porcs. 
						Nous sommes pauvres, mais 
						libres, conclut-il. Et si mon frère, qui a déjà subi 
						sept opérations, se portait mieux, nous compterions 
						parmi les privilégiés de ce monde, parce que nous ne 
						devons rien à personne et que nous n’avons au cœur ni 
						haine ni jalousie. Pour moi, il me semble que, né de 
						nouveau pour une deuxième vie, je suis comme un enfant 
						comblé de bonheur!   
						Jean BAZAL   Les dernières condamnations à mort prononcées
						en Corse ont été celles de Jean-Baptiste TORRE (l'un des agresseurs 
						de GUAGNO-LES-BAINS) le 20 novembre 1933 et d'André SPADA le 5 mars 1935. 
					    Tous deux ont été guillotinés. |