Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

LES BANDITS CORSES

François BORNEA (1905-1981)

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "Les bandits d'honneur" interprétée par Antoine CIOSI

 

François Bornéa est né à Campo le 17 avril 1905. Après une enfance sans histoires pendant laquelle il se fait remarqué comme coureur cycliste, il s'engage dans la marine à l'âge de 18 ans.

Le 4 octobre 1924, il épouse à Ajaccio Pancrazia, Benoite Baptistine Ceccaldi.

Libéré en 1925, il retourne en Corse et demande aussitôt à intégrer le corps de la Gendarmerie à Saint Auban, dans les Alpes Maritimes où il se fait remarquer par son zèle et sa rigidité dans le service.

Entre temps, sa femme tombe malade à la suite d'un accouchement difficile et il lui est conseillé de rentrer au pays natale pour se reposer. Bornéa en profite pour faire une demande de changement de corps.

En 1927, il demande et obtient son affectation dans le corps des gendarmes maritimes à Toulon.

Le grand port de guerre méditerranéen abrite une importante colonie corse, et les ruelles de la Basse-Ville sont le quartier général d’un certain nombre de mauvais garçons originaires de l’île de Beauté. Bornéa va y faire de mauvaises rencontres, notamment des amis d'enfance qui ont mal tourné et qui vont altérer son comportement jusqu'alors irréprochable.

Peu à peu, il se met à négliger son service pour fréquenter avec assiduité les petits bars enfumés d'où, en jouant à la belote, les souteneurs surveillent leurs protégées.

En juillet 1928. il s’absente irrégulièrement de son poste. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Il est appréhendé à la descente du bateau, à Ajaccio et ramené à Toulon.

Le 10 décembre 1928, il passe en conseil de discipline et est définitivement radié des effectifs pour cause de désertion. Plus rien ne le retient désormais sur le continent.

 Il rentre en Corse mais ne rejoint pas sa femme à Ajaccio et s'installe quelques temps chez ses parents, à Guitera puis à Ciamanacce et enfin à Palneca où il y trouve un emploi de forgeron. Mais sa réinsertion dans la commune se révèle difficile. Sans argent, il exerce au hasard des villages de Corse, du Taravo même jusqu'en Castagniccia, sa profession de forgeron et d'horloger.

Devenu chauffeur d'auto, Bornéa obtient de conduire la camionnette du service d’Ajaccio à Zicavo. Un jour, pour une raison seulement connue du concessionnaire, ce dernier lui demanda de ne point assurer son service. Bornéa refuse, bien que l’autre lui ait offert une somme importante pour se reposer ce jour-là. Pour se venger de ce refus, le concessionnaire Porte plainte. Bornéa le menaça de mort ; le concessionnaire déposa une nouvelle plainte.

Craignant alors pour sa liberté, Bornéa prend le maquis, mais n’oublia pas...

Cette vie errante faite d'expédients le mène tout droit à la délinquance.

 

C'est à ce moment qu'il fait la connaissance de Joseph Bartoli dont les exploits semblent l'avoir "impressionné". Les deux hommes se lient d'amitié et le 17 janvier 1930, à Cozzano, ils arrêtent la voiture d'Ange Marsilj pour lui soutirer une importante somme d'argent. Puis ils exigeront de lui une "redevance" pour lui permettre de continuer son activé. Mais les exigences des deux complices ne tardent pas à se faire plus nombreuses et plus lourdes. Marsili préfère liquider son affaire et quitter la Corse.

Le racket s’intensifie. Industriels, commerçants, négociants, reçoivent périodiquement la visite d'émissaires des bandits Bartoli et Bornéa qui leur mettent sous les yeux des lettres revêtues du cachet - que Bartoli, pour asseoir sa notoriété et satisfaire sa mégalomanie, s'est fait fabriquer - et des signatures des deux associés. Toutes ces lettres ont le même caractère impérieux que celle-ci, adressée le 16 juin 1930 à M. Sanguinetti :

« Par ordre des bandits Bartoli et Bornéa, tous les travaux de l'exploitation forestière sont suspendus jusqu à jeudi 19.A partir de cette date, le travail pourra être repris après avoir remis la somme de (20.000 francs) vingt mille francs à M. Bartoli Henri, à Palneca, en le prévenant que, s’il refuse, c’est peine de mort. Signé Bartoli-Bornéa".

 

Dès lors, tous ceux qui reçoivent des lettres portant son sceau et revêtues de la signature des deux bandits percepteurs, savent à quoi s'en tenir.

On paie avec effroi. L’argent afflue dans la caisse de la bande. Devenus riches grâce à un racket de plus en plus présent, Bornéa mène la grande vie avec son complice Bartoli et ce sont de vastes ripailles, de joyeuses parties, de folles équipées.

Vêtus avec élégance, arborant des armes de prix, les bandits suscitent la dangereuse admiration des jeunes gens des villages, qui briguent l'honneur de leur servir de gardes du corps.

L'audace des deux bandits dépasse les limites. Ils s'amusent à sonner la cloche de la caserne de gendarmerie de Ciamanacce, interdisent aux habitants d'éteindre leurs lumières la nuit, aux cafés de ne pas fermer leur porte à 22 heures et aux gendarmes de sortir en armes. Pour éviter de sanglants incidents qui risqueraient de dégénérer en véritables émeutes, ces derniers laissent faire, tandis que caisses de munitions et paniers de champagne prennent le chemin du Palais Vert.

 

Le 10 mai 1930, alors qu'Arsène Bucchini dirige une équipe de journaliers occupés au rechargement de la route de Cozzano, Bartoli et Bornéa surgissent en auto, en descendent fusil au poing et donnent l'ordre aux ouvriers de cesser le travail.

« Je vous défends, leur crie Bornéa, de travailler pour le concessionnaire ". Échanges de mots, menaces, l'incident tourne vite au tragique.

« Bucchini le menace de son revolver ; Bornéa, l’abat d'une balle en pleine tête.

 

Le 16 juin 1930, M.Sanguinetti, exploitant forestier à Marmano est victime d'une extorsion de fond qui leur rapporte la somme important de 20.000 francs. C'est l'époque à laquelle, pour des raisons qui ne sont pas connues, Bartoli et Bornéa se séparent.

Le 18 octobre 1930, Bornea écrit au journal l'Eveil de la Corse : "On m'a traité de demi-fou... mais j'attends cette fameuse balle adroite qui mettra fin au démon de ma vie".

Le 6 novembre 1931, Bartoli. le "Roi de Palneca", est mortellement frappé, près du col de Verde, de deux balles, l’une dans l'épine dorsale, l’autre dans le cervelet. Trop sûr de lui et de son prestige, il avait négligé certaines précautions essentielles de sécurité.

Mais Bornéa, lui, tient toujours le maquis. Il opère seul, maintenant, et se garde avec soin, renseigné par des amis sur tous les déplacements des policiers et des gendarmes.

 

Soudain, coup de théâtre : un corps expéditionnaire, envoyé dans l'Île de Beauté pour réprimer le banditisme, débarque à Ajaccio, deux jours après la mort de Bartoli.

Il se compose de six cent quarante gardes mobiles dotés d’un imposant matériel de guerre, parmi lequel six auto-mitrailleuses. Les brigades de gendarmerie locales ont été secrètement renforcées, dans les régions où doivent avoir lieu les opérations. En outre, des forces policières supplétives, ayant à leur tête les commissaires divisionnaires Martin et Hennett, sont venues augmenter la police mobile de la Corse, composée uniquement du commissaire Natali et de deux inspecteurs.

 

Le bon temps est révolu pour les bandits. Le gouvernement a décidé d’en finir une fois pour toutes avec les redoutables "hôtes du Palais Vert", qui narguent les autorités depuis des années et font sourire les étrangers.

Le corps expéditionnaire commence à occuper militairement les villages et les points stratégiques où les hors-la-loi régnaient en maîtres quelques semaines auparavant.

Les plus redoutables : Bornéa, André Spada et consorts demeurent insaisissables, bien que leurs têtes soient mises à prix. Maintenant, les rois du maquis sont devenus des hommes traqués.

La direction des opérations est confiée au général Fournier, commandant supérieur des forces de l’Île.

Il n'a pas perdu de temps. Le soir même de l’arrivée des troupes, à minuit, il a expédié quatre colonnes motorisées afin d’occuper militairement Sainte- Marie-Sicché et Guitera, dans le fief de Bornéa ; Palneca, dans celui de la bande Bartoli ; La Punta, près de Calcatoggio, repaire de Spada ; Vico et Guagno, dans le secteur de Caviglioli.

Toute circulation sur route est interrompue. Les communications téléphoniques et télégraphiques sont coupées. Cent soixante personnes soupçonnées d'avoir des intelligences avec les hors-la-loi sont arrêtées. Le désarmement des villages occupés se poursuit avec une rigueur qui, parfois, frise la brutalité.

La grande presse française et étrangère fait autour de ces opérations policières une publicité exagéré. D'éminentes personnalités corses, comme les avocats De Moro- Giafferri et Pierre Dominique, élèvent de véhémentes protestations.

Mais l’épuration continue...

Les résultats ne tardent guère. Les gardes mobiles prennent possession du quartier général de Bartoli à Palneca ; du repaire de Spada à La Punta ; mettent sens dessus dessous la maison des parents de Bornéa, à Guitera.

Harcelés sans trêve ni merci, les bandits sortent des bois pour se constituer prisonniers.

Dans le courant de novembre 1931, Paul Mozziconacci, Toussaint Valle, Dominique Santoni, guide fidèle de Bartoli, Antoine Rossi, se rendent.

Le 11 janvier 1932, c’est au tour du bandit d’honneur Jean-Simon Ettori d’aller au-devant des autorités.

Mais les plus coriaces - Bornéa, Torre et Spada - réussissent à forcer les barrages de police, brouillent leurs pistes, s’enfoncent dans les fourrés de la macchia. se retranchent dans des grottes ou des casette en ruine, apparaissant parfois, à la nuit tombante, pour demander un morceau de pain et de bruccio à un paysan ou à un berger.

L étreinte, pourtant, se referme peu à peu.

Le 11 février 1932, le bandit Torre est surpris à Muna, près de Vico, et capturé par les gendarmes.

Le 11 juin de la même année, Bastien Spada. frère d'André, se constitue prisonnier.

Deux ans, François Bornéa, l’Insaisissable, résistera encore à la meute de ses poursuivants en continuant son racket en solitaire et côtoyant un moment le Bandit Spada.

A la fin, mis dans l’impossibilité de subsister, dépouillé de son prestige, il décide finalement de se rendre au Capitaine de la Gendarmerie de Sartène au début de l'année 1934. Après de nombreuses tractations menées par sa famille et des amis communs, il se constitue prisonnier à Figari après avoir tenu le maquis près de sept ans !

 

Transféré à la prison d'Ajaccio, le 11 juillet 1935 il passe devant la Cour d'assises de Bastia pour répondre du meurtre d'Arsène Bucchini..

Grâce à l’habile plaidoirie de son avocat. Me Charles Carboni, dont ce sont les débuts éclatants aux Assises, l'ancien gendarme s’en tire avec seulement cinq ans d’emprisonnement.

Sorti de la Centrale de Nîmes en 1939, il est mobilisé en septembre et incorporé au 173e Régiment d'infanterie.

A sa libération en 1940, il rentre en Corse et s'installe à Porto-Vecchio où il va mener une existence tranquille en exerçant le métier de coiffeur et d'horloger.

 

En 1952, après avoir été pendant près de sept ans, un implacable racketteur du maquis, Bornea a maintenant trouvé un havre de paix dans la montagne de Bavella, dans la maison de son beau-père. Ni une vie tumultueuse, ni la dure existence du maquis, ni les années de prison ne l'ont prématurément vieilli.

L'été, ainsi que beaucoup d’habitants de Zonza, il monte respirer l’air pur des cimes, dans la forêt de Bavella.

Divorcé de Pancrazia, Benoite Baptistine Ceccaldi en 1962, il épouse le 22 janvier 1972 à Porto Vecchio, Catherine Pasqualini.

Il s'installe chez son beau-père, M. Pasqualini qu'il aide dans ses  travaux de jardinage. et ne descend à Zonza que pour y porter ses légumes et y prendre son vin.

A présent, Bornéa n’aspire qu’à la paix et à la tranquillité, dans la solitude de Cavanello. Il vit en famille avec sa femme et ses jeunes enfants. Le moteur de son vieux tacot satisfait ses goûts de bricolage. La main tendue vers l’azur qui ourle les aiguilles de Bavella et les cimes altières de l’Incudine, François Bornéa tire, en sage, la moralité de son rachat :

"Voyez la pureté de notre ciel, au-dessus de nos montagnes. Et voyez aussi, là-bas, du côté de la mer, ces nuages qui tournent comme de mauvais courants. Ce sont ces mauvais courants qui, jadis, dans un moment d’égarement, ont fait de nous des êtres rudes, violents, vindicatifs, des hommes qui firent couler le sang parce qu’ils s’imaginaient appartenir encore à une époque où le respect de la parole donnée constituait l’article premier d’un code primitif et farouche de l’honneur. Ces temps sont définitivement abolis. Mais on garde plus ou moins, dans le secret de son cœur, la nostalgie d’une jeunesse trop ardente dont les fautes et les crimes n’étaient souvent dus qu à l’excès d'un sentiment chevaleresque, lui aussi bien défunt".

Ftançois Bornéa meurt à Zonza le 31 décembre 1981 à l'âge de 76 ans.

 

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 20 juillet 2023