Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

LES BANDITS CORSES

Antoine Marc ALFONSI, Dit MUZZARETTU (1866-1952)

Bandit d'honneur

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "Les bandits d'honneur" interprétée par Antoine CIOSI

 

Marc Antoine ALFONSI est né né le 15 novembre 1866, à Capo sobrano, une petite ferme juchée sur un mamelon et dépendant de Grossa, village construit comme un fortin à plus de 500 mètres d’altitude.

Antoine Marc est le cadet d’une famille assez nombreuse : cinq frères et deux sœurs. Les Alfonsi, de père en fils, sont tous nés à Capo sobrano.

De la ferme au village, il y a quatre bons kilomètres. Aussi ses parents négligèrent-ils de l’envoyer à l’école et très tôt, il apprend les travaux des champs, la garde du bétail, les soins à la vigne, l’apprentissage de la chasse et le maniement de la carabine. Tout jeune, il accompagnait déjà son père dans ses battues au sanglier à travers le maquis immense qui s’étend du menhir de Campomoro au Lion de Roccapina.

A l’occasion de l’anniversaire de ses 16 ans, son père, Jean-Dominique Alfonsi, lui fait le plus beau cadeau du monde : un fusil de chasse.

C’est de cette époque que date le sobriquet que ses camarades lui attribuèrent : Muzzarettu. (Petit mulet).

A la fin de sa vingtième aimée, le 10 mai 1887 exactement, il épouse à Grossa une jeune fille prénommée Paolina Tomasi (1866-1940) et ensemble, ils quittent Capo Soprano pour s'installer au lieu dit Bizzicoroso dans une petite ferme dont il va s'attacher à mettre la terre en valeur.

Jouissant d'une bonne réputation, très sociable, il a beaucoup d'amis dans le canton et la salle de la petite ferme est toujours pleine de joyeux convives.

Muzzarettu est le père de cinq enfants : quatre garçons et une fille. Trois de ses fils et son gendre ont été tués à la guerre de 14-18. Comme beaucoup de familles, les Corses ont payé un lourd tribut aux combats. A l’armistice, il ne lui reste plus qu’un fils, Napoléon-Annibal, qui deviendra facteur dans une petite ville de la Côte d’Azur. Il s’est marié en Corse, puis il est parti pour le continent et il n'est revenu au pays que deux fois en vingt-cinq ans. Muzzarellu reste donc seul avec sa femme après avoir donné à la France trois fils et le mari de sa fille.

En dépit des deuils, des chagrins, des misères, le temps passe et Muzzarellu continue à cultiver sa terre et à louer ses bras.

 

C'est en 1931 que tout va basculer.

Muzzarettu vient d'avoir 66 ans.

A cette époque, le maquis abrite une poignée de bandits percepteurs qui, pour se procurer des moyens d’existence, rançonnent sans vergogne les propriétaires et les commerçants aisés de la région.

Il y a Spada qui a repris la succession de Romanetti, à Calcatoggio, Rutili, qui est revenu aveugle des travaux forcés, Caviglioli avec Bartoli, qui règnent dans les cantons de Zicavo et de Sainte-Marie Siché.

C’est justement  à la suite d'une discussion à propos de Bartoli que le malheur s'est abattu sur Muzzarellu.

La bande à Bartoli veut faire tuer un de ses cousins. Muzzarellu en discute sur la place du village de Grossa  avec Victor, un de ses neveux qui n'est pas d'accord avec lui. Victor est un gamin de 20 ans au sang bouillant et à la mentalité mauvaise. La discussion s'envenime et dégénère rapidement  en dispute.

"Que veux-tu faire, à ton âge ? Tu n’oserais quand même pas résister au fameux Bartoli !"

Joignant le geste à la parole, le neveu administre une gifle magistrale au vieil homme, là, au milieu des gens du village que la dispute a rassemblés sur la place.

Muzzarettu, élevé dans l'honneur et le respect des personnes âgées ne peut laisser passer un tel affront. Son honneur était en jeu.

Il court prendre son fusil et revint sur la place où Victor se vente de son exploit.

Le vieil homme épaule, vise et tire par deux fois sur son neveu qui s'écroule le crâne fracassé.

 

Dès lors commence pour Muzzarettu une vie d'errance à travers le maquis Corse.

Aussitôt informés du drame, une vingtaine de gendarmes se lancent à sa poursuite. Ils organisent des battues, tendent des embuscades ; mais Muzzarettu à des parents et des amis dans tout le canton qui le cachent et le nourrissent. Il est régulièrement averti des mouvements de la maréchaussée.

Arrêté quelques mois plus tard, Muzzarettu est conduit à la prison d'Ajaccio où il effectue quatre mois de préventive avant d'être jugé et acquitté par le tribunal de Bastia.

Après son acquittement, il revient au village où des visages hostiles accueillent mon retour ; l’esprit de vengeance règne dans le clan de la victime. Muzzarettu comprend qu’un jour ou l’autre, la vendetta va se déclencher.

Un matin, Antoine-Jean Gianinni, un oncle de Victor, se poste dans un buisson et attend patiemment Muzzarettu. Enfin il l’aperçoit. Il tire un coup de feu. Par bonheur, il le manque ; mais la guerre était de nouveau déclarée entre les deux familles.

Garde-toi... Je me garde ! Désormais Muzzarettu ne sort plus sans son fusil.

 

Des mois s’écoulèrent sans autres incidents.

Des médiateurs, des paceri,viennent, selon l’usage, proposer un traité de paix.

Par ce traité, la guerre cessera entre les Alfonsi et les Gianinni. L'honneur des deux familles sera sauvegardé. Seulement, voilà ! Une des clauses de ce traité stipule que Muzzarettu devra quitter le village avec sa femme et ne pas habiter à moins de 50 kilomètres de Grossa.

Pour éviter un nouveau drame, Muzzarettu accepte le marché. les ennemis font la paix.

Le traité en bonne et due forme est signé devant témoins dans la paroisse de Grossa.

Muzzarettu émigre donc avec sa femme au village d’Arbellara, dans le canton d’Olmeto ou il a trouvé une place de fermier dans une petite exploitation.

Quelque temps plus tard, son épouse Paolina décède rapidement d'un mal mystérieux.

 

Plus tard, Muzzarettu va faire connaissance d'une femme d'Arbellara. Mais la famille voyait cette idylle d'un très mauvais œil et le père de la jeune femme vient trouver Muzzarettu  : "Muzzarettu, pars d’ici avant qu’il soit trop tard ; tu n’es pas un homme pour ma fille !".

Muzzarettu choisi de partir et s'installe à Porto-Pollo où il va vivre de longues années paisibles en chassant, pêchant et travaillant la terre jusqu'à ce que, en 1939, en période d'occupation,  sa logeuse, une dame Paoletti, avec la complicité du secrétaire de mairie, un nommé Jacques Pipari, lui dérobe ses armes, fasse déménager ses quelques meubles et le dénonce aux italiens pour pouvoir récupérer le logement.

Quelques jours plus tard, Muzzarettu  abat Pipari.

Mais sa vengeance n'est pas complète. Il reste la dame Paoletti. Celle-ci a engagé un nommé Pianelli pour l'abattre. Pianelli sera tué à son tour sur la route de Propriano. De peur de subir le même sort, Mme Paoletti quitte précipitamment sa maison pour se réfugier à Ajaccio.

 

Sa soif de vengeance éteinte, après la mort de Pianelli et surtout après celle de Pipari, Muzzarettu se réfugie à nouveau dans le maquis non loin de la route qui mène de Grossa à Portigliolo. Mais en juillet 1944 - probablement vendu par un de ses parents qui le ravitaillait - croyant à d’inoffensifs promeneurs qui lui demandent leur chemin, il est ceinturé à bras le corps par deux gendarmes en civil qui lui passent les menottes et le conduisent en voiture de Portigliolo à Sartène avant qu'il ne soit transféré quelques jours plus tard à la prison d'Ajaccio. Il est alors âgé de 78 ans.

Examiné par le médecin de la prison pour un bouton mal soigné qui est en train de lui ronger le visage, Muzzarettu est transféré à l'hôpital Eugénie d'où, avec la complicité d'amis, il arrive à s'évader par la fenêtre grâce à une échelle laissée par hasard contre le mur. Dans la rue, des amis ajacciens l’attendaient avec des souliers et des vêtements chauds.

Deux jours après, ses amis lui procurent une barque de pêche. Il embarque quelques vivres et de l’eau; et il part à la voile, tout seul en direction de Campomoro au sud du golfe de Valinco où il va aussitôt rejoindre son palais vert et reprendre sa vie aventureuse.

Moins d'un mois plus tard, la cour d'assises le condamne par contumace aux travaux forcés à perpétuité.

Le 7 juin 1945, il est condamné à mort pour les meurtres de Piperi et de Pianelli mais cela n'a pour lui aucune importance.

Le 22 août 1945, entre Tizzano et Campomoro il est interpellé par les gendarmes de Grossa qui lui intiment l'ordre de se rendre. Pour toute réponse, il fait feu et blesse l'un d'eux. On parlemente et les gendarmes s'en vont avec leur blessé tandis que Muzzarettu retourne au maquis.

Mais le mal affreux dont il souffre fait des ravages.

Les gendarmes laissent désormais le vieux bandit en paix qui n'hésite plus à mener une vie presque normale entre Sartène et Campomoro tout en demeurant dans une bergerie au dessus de Portigliolo ou dans une grotte au dessus de Grossa.

Son cancer a progressé de façon spectaculaire au point de le défigurer. Une partie du nez, de la mâchoire, de la lèvre supérieure emportées, il ne peut presque plus s'alimenter et endure d'atroces souffrances.

En décembre 1951, un moine du couvent San Damiano à Sartène lui propose son aide. Il accepte.

Soigné, logé, nourri, Muzzarettu, qui ne parlait plus que de se suicider, est touché par la grâce divine. Un soir d'hiver, il tombe dans le coma.

Le 23 février 1952, à 7 heures du matin, il rend le dernier soupir. Ses obsèques se déroulent le lendemain dans l'église des moines.

Muzarettu a été inhumé à quelques centaines de mètres de son village natal de Grossa, au pied d'un énorme rocher, sous un chêne vert au dessous de la route avec sur sa poitrine une médaille de la vierge qu'il y avait lui-même placée. Il avait 86 ans.

 

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 26 juillet 2023