Sur le continent, la politique ne
dure que le temps d'une élection mais en Corse une
élection dure le temps de toute une vie. C'est
assurément la chose la plus importante après la famille.
Quand on se rencontre le dimanche sur la place du
village ou de l'église, au café, on commente toujours
avec une passion soutenue la politique actuelle et
l'on anticipe le temps des prochaines élections.
En Corse, il y a trois degrés dans la politique :
L'élection des députés que l'on commente avec
passion, celle du conseiller général que l'on
défend la rage aux tripes et enfin celle de la
mairie qui transforme les habitants de tout un
village en une meute furieuse et délirante.
Quand deux clans se
forment, le parti opposé peut présumer sans erreur en
les nommant du nombre de votants de l'autre clan ainsi
que celui des incertains et des vendus, i becchi
(les boucs).
Le maire: C'est le personnage le
plus important du village; s'il est élu il promet de
goudronner la route, de trouver du travail à Bastia pour
le fils de Petru Paulu, de faire obtenir une pension à
Anghjulu Maria, de refaire le mur de soutènement du
jardin de Marc'Anto', de faire arriver l'eau sur la
propriété de Maria Serena et d'empêcher "u vicinacciu"
(le sale voisin)
d'Andria de lui nuire... Bref, chacun veut s'accorder le
monopole des faveurs du futur élu.
Les Corses vivent avec passion, la
politique qui symbolise la puissance, le pouvoir et
l’honneur. Elle est pour les insulaires un enjeu
important et mobilise familles, parentèles et amis.
C'est pourquoi, le jour des élections, on ne prendra pas
les choses à la légère. En cette circonstance
exceptionnelle, le bateau affiche complet. On à fait
venir les expatriés de France et d'ailleurs en leur
payant le voyage bien sur et souvent même en les
gratifiant d'un bon paquet de billets. On a sorti les
vieux de leur maison de retraite, on est allé chercher
les impotents, les grabataires et puis, pour être sûr de
gagner, on a aussi demandé à quelques défunts de venir
aux urnes.
Depuis des semaines, on n'a cessé
de se compter et de se recompter. Aujourd'hui, le village
est une poudrière. Chacun se promène avec son fusil sous
le bras, le canon tourné vers le sol. Dans les poches
gonflées de la lourde veste en velours on devine le
pistolet chargé prêt à tirer. Le gendarme qui prétend
faire respecter l'ordre sait se faire discret; il sait
par expérience qu'il suffirait d'un rien pour mettre le
feu aux poudres...
Quand vient le soir, on
s'interroge: "Un c'è stadu nunda ?", "no", "mancu
un mortu ?!" ("il n'y a rien eu ?" , "non",
"même pas un mort ?!"). A la clôture
des votes, quand le vainqueur est enfin connu, c'est une
explosion de joie et de coups de feu. Dans le camp
adverse, on redevient philosophe. Les haines et les
colères s'apaisent, l'injure redevient sourire et le
tragique se transforme en chanson satyrique.
In casa di Gio
Guelfucci,
So biscoti e
bicchierini.
In casa di gio
Mignucci,
So cacati sumerini.
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Dans la maison de
M.Guelfucci,
Il y a des biscuits et
des petits verres.
Dans la maison de
M.Mignucci,
Il y a de la merde
d'âne.
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