Avant que la route du progrès
n'arrive jusqu'aux villages retirés de nos montagnes,
Les marchands ambulants qui exploitaient leurs
marchandises à dos d'ânes ou de mulets étaient les éléments indispensables à la
survie quotidienne de la vie communautaire.
C'est grâce
à l'artigianu (l'artisan) que de nombreux
villages ont acquis et cultivé leur renommée. La région
la plus riche et la plus peuplée de Corse, la
Castagniccia, était la plus représentative de ces petits
métiers aujourd'hui disparus.
Orezza, village très peuplé et
réputé pour ses eaux, comptait de nombreux
artisans; ses mulateri 'les muletiers)
étaient connus dans toute la région. On avait recours à
eux pour le transport du bois, du charbon, du minerai de
fer que l'on extrayait de la mine de Campana, etc... Ils
faisaient également le bonheur des curistes.
Valle d'Orezza ne comptait pas
moins d'une dizaine de pipaghji (fabricants
de pipes).
C'est à Piazzole que l'on achetait
à u sportaghju.(vannier) ses sporte (paniers)
pour aller faire la récolte des châtaignes.
A Monaccia d'Orezza on était
spécialisé dans la poterie (terrame).
C'est à Tarranu, et plus
précisément au hameau de Bonicardu, que l'on trouvait l'armaghjolu
(l'armurier) qui fabriquait la fameuse catana
(du nom de son fabriquant) chez lequel Pascal Paoli se fournissait.
U bancalaru (le
menuisier) était un artisan indispensable que l'on
trouvait dans chaque commune; Des portes aux fenêtres, en
passant par les escaliers, de la chaise au pétrin, de la
cave au grenier, du berceau au cercueil, le menuisier
donnait au châtaignier ses lettres de noblesse.
Un autre personnage jouait un rôle
déterminant dans la société Corse: c'était u
stazzonaru (le forgeron). Il fabriquait et
réparait tous les outils nécessaires à l'agriculture,
ferrait les chevaux, savait transformer une simple
plaque de fer en chaudron, se transformait en
vétérinaire pour soigner un animal malade, en dentiste
pour arracher une dent, ou en médecin pour soigner
certaines douleurs comme la sciatique.
Et puis, il y avait les marchands
ambulants (i scatulaghji) qui créaient
l'évènement, éveillaient
la curiosité des villageois et faisaient la joie des
enfants. Derrière leur pauvre mule chargée de ballots,
avançant péniblement au pas rythmé de sa campana
(clochette), on les entendaient arriver de loin et nous,
les enfants, nous courrions à leur rencontre pour les
escorter jusqu'au village où nous avions hâte de les
voir déballer leur marchandise. C'était tour à tour :
U bancarrotu, auquel
les femmes apportaient un intérêt particulier pour ses
produits de mercerie, ses étoffes et ses tissus aux
couleurs bariolées.
L'arrutinu, qui savait rendre les lames des couteaux, faux et
ciseaux plus coupantes que celles d'un rasoir.
U tragulinu, qui
transportait dans ses sacs de la nourriture mais aussi
une multitude d'objets qu'il ventait avec un tel
bagou que les gens du village se laissaient toujours
avoir.
U carritteru, venant
de la ville, parcourait les villages avec
son chargement de meubles, d'ustensiles et d'autres
objets hétéroclites pour aller livrer les commerçants.
Tous les habitants du village se pressaient autour de sa
carriole pour s'informer des dernières nouvelles (On ne
lisait pas les journaux en ce temps là). A la
tombée de la nuit, il y avait toujours une famille pour
lui offrir l'hospitalité. Le lendemain matin de bonne
heure il reprenait sa route.
Dans
la région où l'arbre à pain procurait au paysan sa
nourriture essentielle, il était normal d'y trouver au
moins un moulin par commune.
U mulinaghju
(le meunier), régnait en maître sur son moulin à eau.
Tous les habitants du village venaient lui apporter
leurs châtaignes à moudre. Je me souviens de celui
d'Orezza, dont l'immense roue emportée par l'eau du
torrent, tournait sans discontinuer dès l'aube au soir
très tard. Aujourd'hui en ruine, il a pratiquement disparu
sous une épaisse végétation.
Citons encore le tisserand pour la
toile de lin, les drap et les peloni dont les fabriques
les plus renommées sont Corte, le Niolo, Venaco,
Bocognano, Sisco.
La poterie dans les villages de Campile et de Canavaggia.
Mais la plus considérable de
toutes les industrie, c'est l'exploitation des grandes
carrières de marbre: Corte (au bord de la Restonica), Serraggio, San-Gavinu di Venacu, Castifao, Oletta,
Saint-Florent.
On exploite aussi les mines de
cuivre: (Linguizzetta, Erone, Castifao, Ponte-Leccia),
les mines d'Antimoine: (Ersa, Meria, Luri), les mines de
fer: Toga, Solenzara).
Bien d'autres petits métiers, en
grand nombre en ce temps là, ont
été emportés par le progrès. Le barbier (u barbieru
), le charretier (u fascinaghjulu), le bottier (u
scarparu), le tailleur (u sartore),
le charbonnier (u carbunaru), le
chaudronnier (u paghjulaghju), le
réparateur de parapluies (u paraquaghju), etc...
Le temps des rameaux de lentisque
accrochés au dessus de la porte des cantines (les
restaurants n'existaient pas encore) pour indiquer que
l'on venait de se réapprovisionner en vin, était
désormais révolu.
Les marchands ambulants ont cessé
lentement d'exister en abandonnant sur la route d'un
"infernal" progrès leurs grelots et leurs carrioles
fatiguées. Aujourd'hui, seul le boulanger et le facteur
parcourent encore les quelques villages habités de cette
Castagniccia, autrefois si glorieuse. |