PERSONNAGES CELEBRES

Giacomo Pietro ABBATUCCI (1723-1813)

 

Sous Louis XVI l'administration française en Corse, après la conquête de l'île, était loin de satisfaire le peuple conquis. C'était par la douceur qu'il fallait agir : on préféra la brutalité et les tortures. Le despotisme militaire s'exerça d'une manière aveugle et passionnée. Les commissaires du roi voulurent être les maîtres suprêmes : ils voulurent l'être surtout de l'administration de la justice.

Giacomo Pietro fut une des plus marquantes victimes de cette lamentable époque...

 

Giacomo Pietro (Jacques Pierre) Abbatucci est né à Zicavo le 07 septembre 1723. Il est le père de Jean-Charles Abbatucci (1770-1796) dont la statue, exécutée par Dubray, orne la place éponyme à Ajaccio.

A l'âge de dix ans, G-P. Abba.tucci est amené par son frère aîné, déjà capitaine à 28 ans, à Brescia où son père est gouverneur. Il entre au collège des nobles, dirigé par des jésuites et y fait de brillantes études ; Il poursuit ensuite ses études à la faculté de médecine de Padoue. Reçu docteur à 23 ans, il quitte l'Italie à la mort de son père en 1750.

Arrivé à Zicavo, il entre de plain-pied dans les revendications politiques défendues par sa famille qui se compose d'opposants farouches aux génois. Un de ses cousins, le prévôt Bucchini, prêtre fanatique et principal soutien de Théodore, a été roué de coups à Ajaccio du temps de Maillebois.

Après l'installation de Cursey en Corse en remplacement de Maillebois, le clan Abbatucci, en partie décimé, a tendance à se rapprocher de la France, d'autant plus que le père de Giacomo-Pietro a été nommé commissaire commandant de la piève de Tallano par Cursey.

Au lendemain de l'assassinat de Gaffori, Abbatucci est élu lieutenant-général des milices des quatre pievi de l'Ornano, d'Istria, de la Rocca et du Talavo à la consulta de Petreto (1753), tandis que Paoli est élu général de la nation Corse au couvent de Saint-Antoine de Casabianca le 14 juillet 1755.

La guerre de sept ans débute à l'été 1756 par une nouvelle occupation des troupes françaises en Corse. La flotte de Louis XV s'installe dans tous les présides génois tandis que les "rebelles" s'emparent de l'île de Capense à Centuri, de Rogliano et de Macinaghju.

 

Lors d'une consulta tenue au couvent d'Ornano en 1763, Abbatucci est élu lieutenant-général. Paoli, qui a l'air d'approuver cette élection, la voit pourtant d'un mauvais oeil. Craignant sa montée en puissance et sa popularité croissante, il le fait arrêter et enfermer au Palazzu Naziunale de Corti en novembre 1763. Pour donner le change aux populations furieuses, Paoli leur affirma que leur général avait été envoyé en mission.

Après plusieurs tractations, Paoli accepte de le libérer en mai 1764 à condition qu'il quitte la Corse dans un délai de dix jours et pour trois ans ; mais aussitôt libéré et peu enclin à obéir aux ordre de son compatriote, Abbatucci retourne à Zicavo qu'il acceptera pourtant de quitter pour la Toscane, après quelques affrontements, en mars 1765.

 

Alors qu Boswell quitte la Corse en novembre, Abbatucci, de retour en Corse, débarque en secret à Solenzara, non pour fomenter contre Paoli mais pour vivre tranquillement à Zicavo sa vie de Médecin, laissant vaines les inquiétude de ce dernier qui acceptera même, le 06 décembre 1766, d'être le parrain de son fils et de le nommer commandant des provinces du Sud.

Gênes qui voyait avec terreur le caractère grave que prenait la résistance en Corse et se sentant menacée dans ses possessions, a de nouveau recours à Louis XV.

A la suite du traité de Versailles, le 30 juillet 1768 les troupes de Marbeuf marchent en direction du col de Teghime et s'emparent le lendemain de Patrimonio.

Pour faire face à cette agression, le 18 septembre à la consulte de Corti, Paoli nomme comme lieutenants Abbatucci et Francesco Gaffori.

Le 09 octobre, Abbatucci remporte l'éclatante victoire de Borgo face à Chauvelin et contraint Narbonne à se retirer.

A la consulta de Saint-Antoine de Casabianca Paoli tente de mobiliser ses troupes pour s'opposer au comte de Vaux nommé commandant en chef en remplacement de Chauvelin.

Le 08 mai, à la désastreuse et sanglante bataille de Ponte-Novu, les troupes indisciplinées des Corses sont écrasées par les Français. G-P. Abbatucci accomplit encore quelques brillants faits d'armes contre l'armée du comte de Narbonne mais il se rend bien compte que la lutte est devenue impossible. Il se rend alors dans le Fiumorbu près de Paoli puis il protège sa retraite en l'accompagnant jusqu'à Portu-Vecchiu où Paoli s'embarque le 13 juin sur une frégate anglaise.

Abbatucci voulut suivre le général en chef des Corses dans son exil volontaire mais Paoli s'y opposa en lui disant : "Vous avez une famille, des petits-enfants, restez ; vous pouvez être utile à la patrie, même en vous soumettant au roi de France ; il nous faut des hommes fermes et loyaux pour combattre les traîtres qui nous ont abandonnés lâchement".

 

Après avoir quitté Paoli, Abbatucci se rend à Ajaccio pour faire allégeance, en son nom et en celui de sa piève, aux représentants du Roi. Peu après, Marbeuf, qui voit en lui un chef de clan à l'influence locale assez grande pour attirer leurs partisans, écrit à Choiseul : "Abbatucci a de l'esprit et du crédit. Je ne le connais pas trop, mais il faut quelqu'un d'Au Delà des monts qui ait prépondérance ; il a tenu tête à Paoli avec cette partie [...]. Je m'applique à le connaître et à le gagner". Le 1er septembre 1770, Louis XV nomme Abbatucci capitaine de dragons à la nouvelle légion Corse, avec rang de lieutenant-colonel.

Capitaine d'infanterie au rang de lieutenant-colonel, élu député de la noblesse aux états de Corse en 1770, Gio-Pietro Abbatucci n'est pas resté longtemps francophile. Depuis 1774, Marbeuf  le craint et lui reproche son manque de fermeté dans la mission de "pacification" du Fiumorbo qu'il lui a confié.

Dès la première réunion des états, fidèle aux institutions de l'île, Abbatucci s'oppose vigoureusement à l'abrogation des statuts dont Gênes avait doté la Corse et à la politique d'assimilation voulue par Versailles qu'il trouve exagérée. Aux état généraux de 1777, parait un pamphlet antifrançais intitulé "La Corsica ai suoi figli" dont Abbatucci est fortement soupçonné d'en être l'auteur.

 

En 1778, le comte de Marbeuf et le comte de Narbonne se disputent le gouvernement de la Corse. A l'assemblée des trois états, Abbatucci se déclare pour Narbonne.

Marbeuf, qui espérait être élu à l'unanimité lui voue dès lors une haine implacable et saisi l'occasion d'accomplir sa vengeance en se servant comme prétexte un  meurtre commis dans le Talavo. Il met alors en place une odieuse machination. Abbatucci, accusé de faux témoignages et de subornation de témoins est arrêté. Emprisonné, soumis à la question, torturé en place publique, il est condamné le 05 juin 1779 à neuf mois de galère et à la marque au fer rouge que le bourreau refusera de lui appliquer.

Les juges étaient au nombre de sept, dont trois continentaux : bassement soumis à la volonté du comte de Marbeuf et de l'intendant Boucheporn, ces hommes sans conscience frappèrent en aveugles. Un Corse se joignit à eux : c'était Massei, dont le fils avait péri comme ayant tenté d'empoisonner Paoli, et qui, dans cette circonstance, voulut venger la mort de son enfant contre l'un des plus chauds défenseurs de la liberté.

Toute la population réunie à Bastia proteste. Les députés, des états généraux de l'île, les cinq évêques font des remontrances pour obtenir au moins la suspension de l'exécution de l'arrêt  mais ils n'obtiennent rien. Le jour où la condamnation doit être exécutée, toutes les boutiques sont fermées. La tension est vive et devant la crainte d'un soulèvement, Marbeuf fait embarquer précipitamment Abbatucci sur un bateau qui le conduit au bagne de Toulon où il rejoint Petriconi qui moisi au fond d'un cachot.

 

Louis XVI fut informé de ce méfait judiciaire ; son conseil en fut saisi. Après un minutieux examen des actes de la procédure, il y eut cassation et renvoi devant le parlement d'Aix, qui reconnut l'innocence d'Abbattucci, et condamna à mort le fauteur de cette monstrueuse machination. Abbatucci ne sera libéré que le 23 mars 1782 par arrêt du Conseil du roi. Il ne sera pas cependant autorisé à revenir en Corse car le Conseil supérieur de Bastia où siègent plus de Français que de Corse s'y oppose.

Voilà comment la justice était administrée en Corse sous l'ancien régime. Honneur aux trois magistrats corses qui ne voulurent point tremper dans une pareille infamie ! Leurs noms méritent d'être cités : ce furent MM. Stefanini ( François-Marie ), Belgodere de Bagnaja et Pierre Boccheciampe (1)

Le 17 juillet 1786, le parlement d'Aix le reconnaît définitivement innocent et en septembre, seulement après la mort de Marbeuf, il peut enfin rentrer en Corse. Réintégré dans son grade, réaffecté au Provincial Corse, Abbatucci obtient du Roi Louis XVI une indemnité en compensation de ses années de détention et reçoit la croix de Saint-Louis.

Âgé de 68 ans, Abbatucci se retire de l'armée active le 1er mars 1791 avec le grade de maréchal de camp et continue son combat contre les génois qui menacent l'indépendance de la Corse. à la tête des gardes de deux cantons corses. Cependant, en 1794, l'insurrection Anglo-Paolienne qui s'organise fait peur au vieil Abbatucci qui craint pour l'avenir de ses fils et malgré son long emprisonnement à Toulon, il ne peut que refuser à Paoli son ralliement au Royaume Anglo-Corse qui gagne du terrain.

 

A Zicavo le clan Abbatucci organise la résistance; mais lorsque les Anglais chassés de Toulon par le jeune Bonaparte le 19 décembre 1793, débarquent en Corse et bombardent Bastia, ses partisans l'abandonne pour se rallier à Paoli. Isolé, Abbatucci, est contraint de quitter Zicavo pour Calvi qu'il participe à défendre contre les Britanniques pendant que les partisans Paolistes saccagent et incendient sa maison et le déclarent "infâme et traître à la patrie."

Après la capitulation de Calvi, Abbatucci rejoint Marseille où Bonaparte le nomme en décembre 1795 (il a 72 ans) général de brigade de l'armée d'Italie. Il en fera de même pour son fils Jean-Charles qui sera lui aussi nommé en 1796 général de brigade de l'armée du Rhin et qui sera tué à Huningue alors qu'il n'a que 25 ans.

 

Mis à la retraite en septembre 1800 en raison de son âge, Abbatucci se retire définitivement à Zicavo où il meurt paisiblement le 17 mars 1813.

 

 

 

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Date de mise à jour pour cette page : 19 septembre 2024