Bibliographie Livre d'or ***
 

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LES PENITENCIERS AGRICOLES

LES CENTRES D'INTERNEMENT DES PRISONNIERS DE GUERRE

COTI-CHIAVARI, CERVIONI, OLETTA, CORBARA, LURI, MORSIGLIA

 

LE PENITENCIER AGRICOLE DE COTI-CHIAVARI.

 

 

La dernière tentative d'installation en Corse d'une population extérieure remonte à 1713 et se solde par un échec : Les colons venus de la côte Ligure, sont décimés par la maladie ou traqués par les habitants de Quasquara, campo et Frasseto.

Plus d'un siècle plus tard, le gouvernement Français décide d'établir des "colonies" correctionnelles agricoles en Corse et à partir de 1855 les premiers repris de justice arrivent de France et d'Algérie.

 

L'implantation des pénitenciers agricoles de Castellucciu, de Casabianda et de Coti-Chiavari procède de deux pratiques : L'exil des prisonniers de droit commun et la volonté d'une politique de colonisation de caractère agricole préconisée et voulue par Napoléon III comme un moyen de permettre à bon marché la mise en valeur de l'île et plus particulièrement des plaines littorales demeurées répulsives en raison du fléau de la malaria.

Ainsi, lorsque Napoléon III décide d'envoyer en Corse des prisonniers afin, dit-il, de leur éviter le désoeuvrement, il choisi la colonie horticole de Saint Antoine (Castelluciu) comme terrain d'expérimentation pour les adultes et surtout pour les enfants les plus réfractaires à la discipline ainsi que les enfants de moins de 16 ans ayant été condamnés à une peine de plus de deux ans. Coordonnée avec le pénitencier de Coti-Chiavari, cette "institution"  fonctionnera pendant 11 ans.

 

Le pénitencier de Coti-Chiavari était l’un des trois grands pénitenciers agricoles de Corse avec Casabianda sur la plaine orientale et Castelucciu sur les hauteurs d’Ajaccio. Les prisonniers y travaillaient en semi-liberté.

Les premiers détenus, pour la plupart entre 20 et 40 ans, qui y sont transférés le 10 février 1855 sont employés à la construction de routes et au défrichage de terrains pour permettre le développement des cultures maraîchères destinées aux prisonniers. En 1862, une véritable exploitation agricole de plus de six cent hectares de pâturages, prairies naturelles et vergers et deux cent trente trois hectares de vignes et de bois fait vivre le pénitencier et l’on n’y compte pas moins de seize bœufs, vingt-cinq mulets, neufs chevaux, dix-huit vaches, deux taureaux, neufs génisses, dix veaux et cinq cent moutons.

Mais le travail intensif, la malnutrition, les mauvais conditions d’hygiène de vie, un climat insalubre et surtout la Malaria qui sévit dès la première année, entraînent un taux de mortalité de près de 80% de la population carcérale ;  ce sont entre vingt et cent détenus qui meurent chaque année malgré la création au couvent Saint Antoine de Campoloro à Cervioni d'un refuge d'été et d'une infirmerie pour les plus malades.

En 1858, on dénombre 31 décès sur 213 prisonniers ; en 1857, 110 décès sur 501 prisonniers ; en 1858, 92 décès sur 861 prisonniers.

 

Les mauvaises conditions sanitaires, la cruauté et le travail forcé poussent les détenus à de très nombreuses tentatives d'évasion.

Malgré les peine sévères qui leurs sont infligées, ce sont plus d’une centaine de prisonniers qui tentent de s’évader au cours de la première année 1855.

En 1856, le registre de la population carcérale du pénitencier agricole de Coti-Chiavari fait état de 777 détenus et seulement 23 gardiens. Au 31 décembre 1859, on dénombre 875 détenus.

Son fonctionnement ayant été jugé peu rentable, le pénitencier de Chiavari cessera de fonctionner le 1er juillet de l’année 1906 et les quelques deux cents détenus encore présents dans les cellules seront transférés à Cayenne. Les terres du domaine, ainsi que les bâtiments seront remis à la direction générale des Eaux et Forêts pour être intégré au domaine forestier de l’État.

C'est ainsi qu'en 1914, Chiavari est disponible pour y accueillir des prisonniers de guerre Allemands et Serbes.

 

En 1919, le maire Antona relate les circonstances dans lesquelles s'est faite à Coti-Chiavari la prise de possession des lieux :

"C'est par un beau matin de de janvier 1855 qu'une multitude de gendarmes, de fonctionnaires, d'hommes d'art et de détenus partirent d'Ajaccio, débarquèrent sur la plage de Vergia, s'acheminèrent vers Chiavari et vinrent munis de provisions, d'outils, de matériel de campement, faire halte sur l'emplacement désigné pour la construction de la maison centrale. Or, précisément sur cet emplacement se trouvait le groupe d'habitations le plus important de la localité; de sorte que, pour pouvoir commencer les travaux, l'expulsion des habitants s'imposait. Ces derniers furent donc sommés de déguerpir. Contrairement au résultat désiré, ils eurent l'audace de résister à cet ordre. Alors se produisit une scène inénarrable. Hommes, enfants, vieillards, tous sont bousculés, violemment arrachés de leurs domiciles et leurs denrées jetées sur la voie publique pendant que, sans désemparer, les coups de pioche des démolisseurs retentissent de toutes parts. Comble de sans-gêne ! Pour montrer sans doute qu'ils étaient investis de pouvoirs discrétionnaires illimités, les agents de la force publique mettent les hommes en état d'arrestation et, menottes aux mains, les conduisent au parquet d'Ajaccio comme des malfaiteurs !".

Les habitants de Coti-Chiavari et du hameau de la Costa protesteront longtemps contre la "spoliation" dont ils ont été victimes.

 

Abandonné durant plus d’un siècle, souvent visé par des projets restés sans suite, le site se dégrade lentement et la nature reprend inexorablement ses droits sur les vergers et les zones défrichées.

En 1969, la Société du Lotissement du Domaine de la Pinède rachète le domaine et fait démolir la plus grande partie des bâtiments dans l'idée d'y construire un complexe touristique qui ne verra jamais le jour.

Les bâtiments, dont il ne reste plus aujourd'hui que la poudrière, la grange à fourrage, la fosse à purin et les caves, ont été détruits par les pelleteuses et le site à été saccagé avant que l’on ne prenne enfin conscience de sa valeur patrimoniale.
Après 51 ans de vie active et un siècle d'abandon, le pénitencier de Coti-Chiavari, dont seule l'immense grange à fourrage a été restaurée, accueille dans un cadre exceptionnel, concerts et mariages et laisse les nombreux promeneurs intrigués par les derniers vestiges d'une époque révolue..

 

Cliquer sur une image pour l'agrandir ou voir le diaporama. ( Photos JS. TIMOTEI )

 

Le barrage, construit en amont du pénitencier, a une retenue de 25000 mètres cubes. Véritable ouvrage d’art, laissé lui aussi à l'abandon depuis 1906 a été réhabilité entre 2008 et 2012. Sa construction a été réalisée par les prisonniers en 1870 pour retenir l'eau et irriguer les cultures.

 

 

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Le cimetière de Campestra, que l’on ne saurait dissocier de l’histoire du pénitencier, mérite à son tour de reprendre sa place dans la mémoire collective. Ici, gardiens et détenus y reposent ensemble pour l'éternité. Beaucoup de tombes ne sont que des tumulus de terre sous lesquels, sans doute, se trouvent aussi des fosses communes car des centaines de personnes sont mortes à Casabianda.

Au milieu du cimetière se dresse un curieux monument élevé à la mémoire de Louis Muller conducteur des Ponts et Chaussées décédé en 1875. On peut lire sur son épitaphe « Pour perpétuer le souvenir de l'homme dévoué qui commença et mena presqu'à leur fin les travaux d'assainissement du pénitencier agricole... ». Ce « presqu'à leur fin», explique cette colonne tronquée qui interpelle. Plus loin, un autre monument rappelle qu'ici repose M. Graux, le premier directeur du pénitencier, lui aussi mort du paludisme en 1865.

 

 

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LES CENTRES D'INTERNEMENT DES PRISONNIERS DE GUERRE.

 

Désaffecté, le pénitencier de Chiavari sera cependant de nouveau utilisé au cours de la Grande Guerre de 1914 à 1918 pour recevoir, comme les autre pénitenciers de Castellucio et de Casabianda, les quelques 2000 civils et prisonniers de guerre envoyés en Corse. D'autres lieux, comme les couvents de Cervioni, Corbara, Luri, Oletta et Morsiglia seront également choisis pour les accueillir.

Leur présence met la population directement en contact avec l’ennemi et révèle les limites de l’effort de guerre. En effet, dans ce département considérablement affaibli par des conditions de mobilisation particulières, l’utilisation de ces captifs comme main-d’œuvre agricole et industrielle aurait dû pallier l’absence de près de 40000 actifs. En fait, ce système est inefficace. Il engendre des tensions entre les autorités militaires, civiles et politiques. Celles-ci se disputent la gestion des prisonniers tandis que le gouvernement refuse l’envoi de nouveaux captifs et tente même d’en diminuer le nombre. Sans remettre en cause l’attachement des Corses à la Nation, cette situation se répercute dans l’opinion insulaire mettant en lumière la résurgence d’un sentiment d’exclusion de la communauté nationale...

 

Après la libération de la Corse en 1943, l'île va devenir une base arrière de ces camps de prisonniers.

Les Allemands sont détenus sur l'ensemble du territoire. L'île devient un vaste camp d'internement pour les prisonniers de guerre italiens et allemands à partir de 1944. On peut dire qu'elle retrouve sa vocation de terre de relégation qu'elle a souvent eue depuis l'Antiquité. La Corse, entre 1944 et 1948, reçoit plus de 4 795 prisonniers (soit environ 5 % des détenus en France à pareille époque). Ils seront détenus principalement dans le camp 10 TA situé à Ajaccio, mais aussi dans une quinzaine de camps secondaires à Ponte-Novu, Cervione, Tavera, Patrimonio, Olmo, Bastia... Ils travaillent en détachement. et sont utilisés pour mener différents chantiers. Comme ils dépendent des autorités militaires, ils vont être employés à des tâches dangereuses comme le déminage. Mais les Allemands captifs seront aussi déployés sur des ouvrages de reconstruction ou des travaux agricoles. Ils seront ainsi répartis en différents sites, y compris dans des villages de l'intérieur.

 

La Croix-Rouge veille à ce que la Convention de Genève sur les droits des prisonniers s'applique. Les Allemands ne subissent pas de mauvais traitements ; d'ailleurs, peu tentent de s'évader. Mais comme la population, les prisonniers sont assez mal vêtus et mal nourris, ce qui entraîne une mortalité assez forte. La malaria et la dysenterie font des ravages. Seuls ceux qui sont dans les villages sont mieux traités malgré la germanophobie ambiante. En 1945, un rapport de la Croix-Rouge pointe cependant de nombreux manquements dans les camps de Corse.

La fin de la guerre ne va pas régler immédiatement le sort des prisonniers. Les rapatriements ne commencent qu'en 1947. La France va les conserver jusqu'en 1948 (il en sera de même en Corse) au titre des dédommagements de guerre. Ils servent de main-d'œuvre dans un pays quasiment dépeuplé à reconstruire. Mais leur nombre sera insuffisant pour jouer un rôle décisif dans le relèvement du pays. Peu d'entre eux feront souche en Corse. Avec le temps, le passage en Corse de tous ces internés civils ou prisonniers de guerre, est devenu une histoire ancienne dont bien peu se souviennent aujourd'hui.

 

 

 

 

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Date de mise à jour pour cette page : 14 mars 2024