
L'implantation des pénitenciers
agricoles de Castellucciu, de Casabianda et de Coti-Chiavari
procède de deux pratiques : L'exil des prisonniers de droit
commun et la volonté d'une politique de colonisation de
caractère agricole préconisée et voulue par Napoléon III
comme un moyen de permettre la mise en valeur de l'île et
plus particulièrement des plaines littorales demeurées
répulsives en raison du fléau de la malaria.
La dernière tentative d'installation
en Corse d'une population extérieure remonte à 1713 et se
solde par un échec : Les colons venus de Chiavari, sur la
côte Ligure, sont décimés par la maladie ou traqués par les
habitants de Quasquara, de Campo et de Frasseto.
En 1919, le maire Antona relate les
circonstances dans lesquelles s'est faite à Coti-Chiavari la
prise de possession des lieux :
"C'est par un beau matin de de
janvier 1855 qu'une multitude de gendarmes, de
fonctionnaires, d'hommes d'art et de détenus partirent
d'Ajaccio, débarquèrent sur la plage de Vergia,
s'acheminèrent vers Chiavari et vinrent munis de provisions,
d'outils, de matériel de campement, faire halte sur
l'emplacement désigné pour la construction de la maison
centrale. Or, précisément sur cet emplacement se trouvait le
groupe d'habitations le plus important de la localité; de
sorte que, pour pouvoir commencer les travaux, l'expulsion
des habitants s'imposait. Ces derniers furent donc sommés de
déguerpir. Contrairement au résultat désiré, ils eurent
l'audace de résister à cet ordre. Alors se produisit une
scène inénarrable. Hommes, enfants, vieillards, tous sont
bousculés, violemment arrachés de leurs domiciles et leurs
denrées jetées sur la voie publique pendant que, sans
désemparer, les coups de pioche des démolisseurs
retentissent de toutes parts. Comble de sans-gêne ! Pour
montrer sans doute qu'ils étaient investis de pouvoirs
discrétionnaires illimités, les agents de la force publique
mettent les hommes en état d'arrestation et, menottes aux
mains, les conduisent au parquet d'Ajaccio comme des
malfaiteurs !".
Les habitants de Coti-Chiavari et du
hameau de la Costa protesteront longtemps contre la
"spoliation" dont ils ont été victimes.
Le pénitencier de
Coti-Chiavari était l’un des trois grands pénitenciers
agricoles de Corse avec Casabianda sur la plaine orientale
et Castelucciu sur les hauteurs d’Ajaccio. Les prisonniers y
travaillaient en semi-liberté.
Les premiers détenus qui y sont transférés le 10 février
1855 sont employés à la construction de routes et au
défrichage de terrains pour permettre le développement des
cultures maraîchères destinées aux prisonniers.
En 1862, une véritable exploitation agricole
de plus de six cent hectares de pâturages, prairies
naturelles et vergers et deux cent trente trois hectares de
vignes et de bois fait vivre le pénitencier et l’on n’y
compte pas moins de seize bœufs, vingt-cinq mulets, neufs
chevaux, dix-huit vaches, deux taureaux, neufs génisses, dix
veaux et cinq cent moutons.
Mais le travail intensif, les mauvais
conditions d’hygiène de vie, un climat insalubre et surtout
la Malaria qui sévit dès la première année, entraînent un taux de mortalité de
près de 80% de la population carcérale ; ce sont entre vingt
et cent détenus qui meurent chaque année malgré la création
au couvent Saint Antoine de Campoloro à Cervioni d'un refuge d'été et d'une
infirmerie pour les plus malades.
Malgré les peine sévères qui leurs sont infligées, ce sont
plus d’une centaine de détenus qui tentent de s’évader au
cours de la première année 1855.
En 1856, le registre de la population carcérale du
pénitencier agricole de Coti-Chiavari fait état de 777 détenus et seulement 23
gardiens.
Au 31 décembre 1859, on dénombre 875 détenus.
Son fonctionnement ayant été jugé peu rentable, le
pénitencier de Chiavari cessera de fonctionner le 1er
juillet de l’année 1906 et les quelques deux cents détenus
encore présents dans les cellules seront transférés à
Cayenne. Les terres du domaine, ainsi que les bâtiments
seront remis à la direction générale des Eaux et Forêts pour
être intégré au domaine forestier de l’Etat.
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Désafecté, le pénitencier
de Chiavari sera cependant de nouveau utilisé de
1914 à 1918 pour recevoir, comme les autre pénitenciers de
Castellucio et de Casabianda, les quelques 2000 prisonniers de
guerre envoyés en Corse. D'autres lieux, comme les couvents de
Cervione, Corbara Luri, Oletta et Morsiglia seront également
choisis pour les accueillir. |
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Abandonné durant plus d’un siècle, souvent visé par des projets qui n’ont
jamais vu le jour, les bâtiments, dont il ne reste plus que
la grange à fourrage et les caves, ont été détruits par les
pelleteuses et le site à été saccagé avant que l’on ne
prenne enfin conscience de sa valeur patrimoniale.
Après 51 ans de vie active et un siècle d'abandon, le
pénitencier de Coti-Chiavari est aujourd'hui restauré et
accueille dans un cadre exceptionnel, concerts et mariages.
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Le barrage, construit en amont du pénitencier, a une retenue
de 25000 mètres cubes. Véritable ouvrage d’art, laissé lui
aussi à l'abandon depuis 1906 a été réhabilité entre 2008
et 2012. Sa construction a été réalisée par les
prisonniers en 1870 pour retenir l'eau et irriguer les
cultures.
Le cimetière de Campestra, que l’on ne saurait dissocier de
l’histoire du pénitencier, mérite à son tour de reprendre sa
place dans la mémoire collective. Ici, gardiens et
détenus y reposent ensemble pour l'éternité. Beaucoup de
tombes ne sont que des tumulus de terre sous lesquels, sans
doute, se trouvent aussi des fosses communes car des
centaines de personnes sont mortes à Casabianda.
Au milieu du cimetière se dresse un curieux monument élevé à
la mémoire de Louis Muller conducteur des Ponts-et-Chaussées
décédé en 1875. On peut lire sur son épitaphe « Pour
perpétuer le souvenir de l'homme dévoué qui commença et mena
presqu'à leur fin les travaux d'assainissement du
pénitencier agricole... ». Ce « presqu'à leur fin
», explique cette colonne tronquée qui interpelle. Plus
loin, un autre monument rappelle qu'ici repose M. Graux, le
premier directeur du pénitencier, lui aussi mort du
paludisme en 1865.
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